Voici la suite de notre interview avec Toyotaro (auteur de Dragon Ball Super), Kazuhiko Torishima (l’éditeur légendaire d’Akira Toriyama), et Katsuyoshi Nakatsuru (character designer, animateur, et directeur de l’animation sur DB, Z, GT, Super, Daima). Nous avons pu les rencontrer à la Japan Expo 2025 pendant un entretien de 1h30, où ils nous ont parlé de leur expérience sur la licence et sur leur collaboration avec Akira Toriyama.
Interview Toyotaro, Torishima, Nakatsuru à la Japan Expo 2025 : PARTIE 2
Merci de ne pas reproduire cette interview, j’ai passé énormément de temps à la rédiger.
Question 9 : Quelle est la place des nouvelles technologies (CGI, IA,…) dans la production actuelle et futures des séries et manga Dragon Ball ?
Torishima : Je ne m’y connais pas énormément en IA, mais je vais vous dire ce que j’en pense. Si on prend l’utilisation de trames dans le manga : l’informatique a rendu l’utilisation des trames beaucoup plus faciles dans la conception des mangas. A cause de ça, on a de plus en plus d’auteurs qui s’amusent à remplir leurs pages en utilisant des trames de plus en plus élaborées / complexes. Le résultat, c’est qu’on se retrouve avec des pages qui ont l’air très belles et très parfaites… sauf que du coup, toutes les pages de tous les auteurs se ressemblent.
Toriyama, lui, n’avait pas d’argent. Il habitait dans sa petite province, il ne pouvait pas se le permettre, et donc il a fait sans. Il a proposé ses images de manière à ce qu’il n’y ait pas besoin de trame. Et c’est comme ça qu’il a créé des mangas très simples et très faciles à lire.
Je ne veux pas dire que les nouvelles technologies sont mauvaises. Le problème c’est que si on n’utilise pas sa tête pour réfléchir à comment les utiliser, alors on fini par devenir l’outil de l’outil.
D’autre part, pour moi, le plus important dans un manga, c’est le personnage. Donc il est très important de se focaliser sur l’expression des personnages. Et le problème, c’est que même si l’IA est capable de reproduire un personnage, il y a des limites sur ce qu’elle est capable de fournir en terme d’expression. Par exemple, l’IA peut faire des personnages façon Ghibli, mais elle ne peut pas faire les yeux comme les dessine Miyazaki.
Toyotaro : Pour en revenir à Dragon Ball Super SUPER HERO, les personnages d’Akira Toriyama ont été très bien conçus de manière à ce qu’on puisse très bien les voir sous n’importe quel angle. Et donc je pense que c’est très bien de les avoir adapté en CGI, le film SUPER HERO est une très belle expérience dans ce domaine.
Par contre, je ne voudrais pas non plus qu’on aille dans cette direction là. Je pense qu’il faut diversifier les méthodes de production. Le soucis avec la CGI, c’est qu’il y a le risque de rendre le trait de Toriyama-sensei trop dur, sachant que son trait est très souple. Et l’autre soucis à faire l’ensemble par informatique, c’est qu’il peut arriver que les décors deviennent très détaillés, ce qui peut faire défaut au style de Toriyama.
Torishima : Pour résumer l’idée de Toyotaro, c’est comme si on essayait de faire du Gekiga avec une règle.
Note de DB-Z.com : Le Gekiga, c’est un style de manga apparu dans les années 1950-60, plus réaliste, expressif, émotionnel. Du coup, en utilisant un outil rigide et froid comme une règle, c’est contradictoire. C’est comme si Torishima disait : « Tu veux faire quelque chose de vivant et expressif, mais tu t’y prends comme un technicien, pas comme un artiste. »
Toriyama dessinait tout très librement à la main, et il y avait toujours une légèreté, une souplesse dans son trait. Et je pense que la CGI n’est pas faite pour son trait.
Nakatsuru : Pendant que je travaillais sur Dragon Ball DAIMA, je pensais que le travail d’un animateur classique était un travail de labeur très long, il faut beaucoup de temps pour faire une animation. Et donc, je pense que si on trouve la bonne manière de travailler, je pense que la CGI – et même l’IA – pourraient nous permettre de travailler plus simplement, et nous permettre d’élaborer des animés plus élaborés qui pourraient justement plaire à un plus grand public, si l’ensemble était bien utilisé, en tout cas c’est ce que j’espère. Comme Torishima le dit, il faut bien réfléchir sur comment bien utiliser l’outil pour ne pas être l’esclave de l’outil.
Toyotaro : J’ai déjà tenté de demandé des idées de scénarios à ChatGPT, mais c’était juste une perte de temps. (rires) [Note de DB-Z.com : C’est évidemment une pointe d’humour de Toyotaro, merci de ne pas déformer ses propos sur les réseaux sociaux].
Question 10 : En 2020, vous avez déclaré lors d’une interview avec Hiroshi Matsuyama qu’il n’y avait rien à apprendre dans Dragon Ball. Cette phrase a beaucoup fait parler, pourriez-vous nous l’expliquer ?
Torishima : Cette phrase a beaucoup fait parler comment ?
(Suite) : Les gens pensent au contraire qu’il y a des valeurs à retenir comme la bienveillance, le courage, etc.
Toriyama et moi on adore Tom and Jerry, l’animé américain. C’est très simple : le chat poursuit la souris, c’est très clair, c’est juste ça l’histoire. On regarde en s’amusant, mais à la fin, on ne retient rien, on n’a rien appris. En animation, le principal c’est « les « personnages + mouvements ». Dans un manga aussi, quand on le lit, c’est très amusant, mais à la fin il ne reste rien. Tout à l’heure j’expliquais qu’avec Toriyama, on cherchait ce qui était intéressant, et à la fin on a trouvé cette réponse : on doit arriver à ça : « lire en s’amusant, et à la fin, rien ».
La création du personnage est quelque chose très simple. Même un enfant peut le faire. Dans le monde, il existe plein de mangas avec des thèmes compliqués et pas très simples. Ca ne donne pas envie de les regarder. L’autre fois, j’ai discuté avec une personne de la maison d’édition en Allemagne, et il a dit que l’Attaque des Titans a fait beaucoup de bruits, sauf qu’au final, le manga papier n’a pas beaucoup marché. Le truc, c’est qu’à la fin de la série animée, le manga ne se vendait plus. Mais si vous prenez Dragon Ball et Naruto, ça continue à se vendre bien que les séries animées soient terminées. Alors quelle est la différence ? Et bien dans Dragon Ball ou Naruto, on se retrouve dans un style de shonen où le lecteur va dans les yeux du personnage et découvre un monde avec des univers. Ce n’est pas tant l’histoire qui importe le plus, mais l’idée que le lecteur est emporté par le personnage. Grâce à cette construction simple, on arrive à séduire des populations adultes et enfants. « On boit du Coca et de l’Orangina parce que c’est bon, mais quand on a soif, on boit de l’eau ».
Question 11 : Vous avez commencé à réaliser des fan-mangas pour devenir le mangaka officiel de Dragon Ball Super. Quel conseil donneriez-vous à une personne qui souhaiterait réaliser son manga ?
Toyotaro : Je ne pense pas que je puisse trop m’en vanter, mais j’étais un grand fan des œuvres de Toriyama, et je me les suis un peu appropriées sans autorisation pour pouvoir raconter mes histoires en me basant sur Dragon Ball, mais avec mon propre regard et mes propres dessins. Je suis devenu mangaka pour dessiner du Dragon Ball, et je n’ai pas dessiné Dragon Ball pour devenir mangaka, donc je ne pense pas pouvoir donner de leçons à quelqu’un qui souhaite devenir mangaka. Alors si quelqu’un veut vraiment dessiner du Dragon Ball, ça peut être intéressant de procéder de la même manière, et de présenter ses œuvres à la Shueisha pour voir ce qui pourrait se passer.
Torishima : Quand des jeunes me demandent lors de convention, je leur dis toujours que pour devenir mangaka, il faut respecter 3 points :
- Bien étudier le japonais et la littérature. Il faut maîtriser les mots pour bien les utiliser dans les répliques qu’on utilise dans les bulles. L’histoire est construire avec ce genre de dialogue. Il faut avoir ce sens du style du dialogue et des mots pour pouvoir les utiliser. Et donc, pour en revenir à ce que je disais tout à l’heure, je trouve que le niveau de littérature de la plupart des mangas du moment est assez faible.
- Se faire beaucoup d’amis. Les êtres humains sont liés et se connaissent les uns les autres. Dessiner un manga, c’est dessiner le Monde.
- Faire preuve de forces. Quand un mangaka se retrouve devant sa page blanche, il doit créer son univers, et ça c’est un effort qui demande énormément d’énergie.
Si on réunit ces trois points, les voies pour devenir mangaka peuvent être accessibles.
Nakatsuru : Lorsque j’avais rencontré Torishima, je lui avait dit que si l’opportunité se présentait, ça pouvait être intéressant de faire un manga. Alors j’ai eu l’opportunité de faire la suite du manga Dr Slump dans le V-Jump [sous la supervision de Toriyama]. Ce que j’ai retenu de cette expérience, c’est que le métier de mangaka est très dur.
Torishima : Dans notre avion, on a lu un long article sur Toriyama. Toriyama disait à Nakatsuru : « t’es fort », et Nakatsuru a dit « pourquoi ? ». Parce que dans le manga Le Retour de Dr Slump, Nakatsuru utilisait des angles que Toriyama n’utilisait jamais. Toriyama a dit : « Un mangaka fait toujours les angles qu’il sait faire, et en faire d’autres est une vraie corvée ». Les mangakas font toujours des dessins de leur personnages vus de face, mais rarement de dos. Par contre, en animation il faut souvent un angle où on voit le personnage de derrière, parce que la caméra bouge dans tous les sens. Et Nakatsuru est capable de dessiner sous plein d’angles différents que Toriyama ne faisait pas. Si on regarde un manga de Nakatsuru, il y a beaucoup plus d’angle de caméra que dans les mangas de Toriyama. C’est là qu’on peut vraiment voir la différence entre un animateur et un mangaka.
Question 12 : La licence Dragon Ball a énormément évolué, certains la comparent même à des licences comme Star Wars avec ses bons et ses mauvais côtés. Comment voyez-vous l’avenir de Dragon Ball en terme de licence ?
Torishima : Vous demandez ça à nous ? C’est hélas une question qu’il faudrait plutôt poser à Shueisha, ou à Toei Animation, ou à l’entreprise qui gère les droits de monsieur Toriyama.
A la base, Dragon Ball est une histoire que Toriyama et moi avons fait ensemble, mais ce n’est que la face d’une pièce. L’autre face de cette pièce, ce sont les fans. Nous avons construit et élargit le monde de Dragon Ball grâce au soutien des fans. Si la licence devait s’élargir en écoutant la voix des fans, ça devrait aller. Par contre, si l’idée de la licence est de s’élargir pour l’argent, alors tout va s’écrouler, et j’espère que ça n’ira pas dans cette direction là.
Question 13 : Que pensez-vous du traitement des personnages de Trunks et Goten, qu’on voit souvent comme des personnages comiques dans Dragon Ball Super, alors qu’on avait plutôt la sensation d’un passage de flambeau dans l’arc Buu ?
Torishima : [Il ne souhaite pas faire de commentaire. Il fait signe des deux mains en direction de Toyotaro pour montrer qu’il ne répondra pas, mais probablement surtout car l’évolution de Goten et Trunks dépend de Toyotaro, dans DBS].
Toyotaro : Dans le manga Dragon Ball Super, j’ai fait 3 chapitres qui parlaient de l’évolution de Trunks. Trunks est un personnage que j’aime beaucoup, et j’étais vraiment content de pouvoir écrire des chapitres où il était le personnage principal, et j’aimerais beaucoup en faire plus.
Par contre dans ces 3 chapitres là, je trouve que je n’ai pas réussi à bien dépeindre Goten, et j’aimerais bien avoir l’occasion de mieux le dépeindre par la suite.
Nakatsuru : En tant qu’animateur, je ne suis pas lié à la construction de l’histoire, donc je ne sais jamais comment évolueront les personnages dans la série.
Question 14 : Il y a beaucoup de débats sur ce qui est considéré comme canon ou pas. Selon votre expertise, comment chacun d’entre vous voit le concept de canon ? Sachant que c’est une question qui est encore plus présente avec Dragon Ball DAIMA.
Note de DB-Z.com : Torishima n’a pas tout de suite compris le mot « canon », et demande de reformuler la question. Il comprend mieux quand on lui parle de « chronologie des événements ». Et il se marre quand il comprend enfin de quoi traite la question.
Torishima : Je vais seulement répondre de mon propre point de vu. Tout d’abord, sachez que monsieur Toriyama était bordélique. Ca lui arrivait très souvent d’oublier la continuité des personnages qu’il avait créé. Deuxièmement , c’est quelqu’un qui pensait tout le temps à comment réjouir les fans. Et donc, il faisait des histoires au fil du temps sans se prendre la tête. En conclusion, il n’y a pas de continuité ou d’ordre – point barre.
Toyotaro : J’aime quasiment toutes les œuvres qui existent de Dragon Ball. Pour moi, tout est plus ou moins canon parce que j’ai tout vu. Après, ce n’est pas vraiment mon rôle de savoir qui détermine ce qui est canon et ce qui ne l’est pas. Et je pense que c’est mieux si chaque fan décide lui-même ce qui est canon ou pas dans sa propre continuité, et je pense que c’est mieux comme ça. [Note de DB-Z.com : Toyotaro utilise bien le terme « canon » en japonais (カノン, kanon)]. Par exemple, Dragon Ball Online est un jeu auquel j’ai joué autrefois, et il fait aussi parti du canon pour moi.
Nakatsuru : Je ne suis pas vraiment sûr non plus…
Question 15 : Question à tous les trois : quelle était votre relation de travail avec Akira Toriyama, et auriez-vous une anecdote à ce sujet ?
Nakatsuru : Cela fait environ 20 ans que je n’ai pas vu Toriyama. Sur Dragon Ball DAIMA, j’ai eu quelques échanges par mail avec Toriyama sur la construction des personnages, j’envoyais des esquisses, il me renvoyait des corrections, il ma demandé de refaire des choses… On a pas mal échangé de ce côté là, et j’étais content car ça faisait longtemps que ça n’était pas arrivé. Akira Toriyama nous a quittés pendant la production de Dragon Ball DAIMA, et j’ai travaillé très dur pour profiter de ces dernières consignes pour représenter le plus possible Toriyama dans la production de Dragon Ball DAIMA.
Torishima : Toriyama détestait travaillé, mais il adorait dessiné. Etre mangaka c’était un travail pour lui, donc il voulait toujours se dépêcher de finir son travail pour aller s’amuser. Par exemple, dans le Tenkaichi Budokai, c’était une corvée pour lui de dessiner le gros bâtiment du Tenkaichi Budokai, donc il a fait en sorte que Krilin casse ce bâtiment pour ne plus avoir à le dessiner. Toriyama n’aimait pas non plus colorer de noir ses dessins [car c’est chronophage], c’est pour ça que le Super Saiyan a les cheveux blancs [dans le manga]. C’était vraiment un artiste pour pouvoir en faire le moins possible. Et du coup, il était très rapide, et (c’est lui-même qui le disait) : son boulot à la semaine sur Dragon Ball, il le finissait en une journée ! Et le reste de la semaine, il allait s’amuser. Par exemple, Toriyama a passé énormément d’argent à restaurer sa voiture : une Jaguar Mark 2. Il a essayé toutes les couleurs possibles et imaginables pour savoir comment refaire la couleur de sa voiture. Son ami Masakazu Katsura avait appris ça, alors il l’avait aidé en dessinant 4000 à 5000 dessins de cette voiture en différents coloris. Et le plus drôle dans tout ça, c’est que quand on lui a demandé quelle couleur il avait finalement retenue, il avait répondu : « Finalement la première couleur que j’avais choisi était la bonne ». C’est ce genre de chose que Toriyama faisait après avoir fini son manga. Il avait vraiment ces deux faces.
Toyotaro : Je vais revenir sur ce que Torishima vient de dire sur le fait que Toriyama était quelqu’un qui n’aimait pas trop travailler. Un jour Toriyama m’a dit : « En fait, faire les scènes de bataille c’est plus simple pour moi, alors je fais toujours en sorte que les combats commencent très vite, comme ça c’est beaucoup plus facile ». Et ça m’avait beaucoup surpris, je lui avait répondu : « Mais… Quoi !? C’est pas facile du tout ! C’est pas simple pour moi ! ».
Torishima : C’est peut-être parce que dans les scènes de combat, il n’y a pas de décor.
Question 16 : Qui sont les artistes qui ont réalisés les harmony cells ?
Note de DB-Z.com : En animation, les harmony cells sont des cellulos peints séparément pour ajouter des effets spéciaux en surimpression, parfois dans un style aquarelle, pour créer des ambiances lumineuses, des éclats ou des dégradés subtils qui ne sont pas peints directement sur les cellulos principaux.
Nakatsuru : Je pense qu’il doit y avoir le nom des gens qui ont fait les décors dans le générique de fin de chaque épisode. Les dessins principaux sont faits par les gens qui sont sur la liste du générique, notamment le directeur artistique de chaque épisode, et vous pouvez retrouver épisode par épisode. Je connais le principe du harmony, où on a un dessin qui se transforme en un élément plutôt peint comme un décor, alors vous pouvez chercher dans la liste de ceux qui faisaient les décors, parce que c’étaient eux qui s’occupaient des harmony cells. Mais je n’ai pas souvenir qu’il y en avait tant que ça dans DBZ, et je ne me souviens pas de noms particuliers de qui les a fait.
Torishima : Ah, je viens d’apprendre ce que c’est que le harmony !
Nakatsuru : Je ne connais pas les noms des personnes, mais je peux vous assurer que c’étaient des gens du côté des décors et de la direction artistique, donc vous pouvez regarder les noms de ce côté là.
Et c’est tout pour cette interview de 1h30 avec Toyotaro, Katsuyoshi Nakatsuru, et Kazuhiko Torishima. On espère que cela aura pu vous en apprendre un peu plus, mais soyez attentifs car d’autres grands médias, comme par exemple France Info, ont aussi partagé des interviews de l’équipe depuis la Japan Expo.