Toei Animation, le studio japonais emblématique derrière Dragon Ball (et One Piece, Sailor Moon, …), continue de garder le cap sur un plan qu’elle a lancé en 2020 : l’intégration de l’intelligence artificielle dans sa chaîne de production. Cette annonce (ou plutôt ce rappel), publiée dans le rapport fiscal de mars 2025, continue d’inquiéter les fans d’animation traditionnelle et artistes, qui ne comprennent pas réellement ce qu’il y a derrière cette technologie qui pourrait bien transformer durablement l’industrie de l’animation japonaise (même si en réalité, la majorité des gens qui en parlent sur les réseaux sociaux n’ont pas de vision concrète sur l’usage que les studios comptent faire de l’IA).
L’IA dans l’animation, c’est pas nouveau
Même si les fans s’échauffent dès qu’on prononce le mot IA, il faut bien comprendre que les studios ne les ont pas attendus. Voici quelques studios d’animation ayant déjà testé (plus ou moins discrètement) l’usage de l’IA :
- Toei Animation : pour les storyboards, inbetweens et corrections couleur.
- Netflix (via Japan S+H) : court-métrage The Dog & The Boy généré en partie par IA.
- Studio Ghibli : expérimentation limitée, surtout pour des outils internes.
- Polygon Pictures : IA utilisée pour optimiser l’animation 3D.
- Wit Studio : collaboration avec des startups tech pour explorer l’IA générative.
Souvent, l’IA est testée comme outil d’assistance, pas comme remplacement complet, et c’est ça qu’il est important de comprendre. Utiliser l’IA dans les studios d’animation en 2025, c’est un peu comme un dentiste moderne qui utilise des technologies de pointe pour soigner une carie : il ne remplace pas le savoir-faire humain, mais il gagne du temps, réduit l’effort, et améliore le résultat final. On n’arrache plus une dent à la pince sans anesthésie, comme on ne dessine plus image par image si une IA peut aider à interpoler les mouvements ou corriger les couleurs.
L’humain reste indispensable, mais il serait absurde de se priver d’outils qui rendent son travail plus précis, plus rapide, ou moins pénible. D’ailleurs, on vous parlait déjà en 2020 de la façon dont Toei Animation testait l’IA pour la conception de backgrounds dans les animés.
Retour sur un POC de Toei Animation
Le concept expérimental qui avait été présenté à l’époque était assez simple : Toei Animation convertissait une photo avec Scenify, puis sollicitait ses artistes pour peaufiner et finaliser la création. On peut clairement parler d’usage intelligent de l’IA, voire de fair-use de l’IA. Voilà ce que ça donne :



Une stratégie assumée pour moderniser la production
Selon le dernier document de présentation des résultats financiers de Toei Animation sur son site officiel en mars 2025, l’IA sera davantage utilisée à différents niveaux de la fabrication d’un anime :
- Génération de storyboards simplifiée
- Colorisation automatisée et attribution des tons
- Correction de dessins-clés (genga)
- Génération de décors réalistes à partir de photos (l’exemple qu’on vous a montré en haut d’article)
Cette technologie est mise en œuvre en collaboration avec Preferred Networks, entreprise japonaise spécialisée dans les modèles d’IA de pointe. Ensemble, elles ambitionnent de fluidifier les processus tout en maintenant, voire en améliorant, la qualité visuelle des épisodes produits.
Kiichiro Yamada, directeur principal chez Toei Animation Co., Ltd., a déclaré :
« Chez Toei Animation, nous pensons que les atouts de Preferred Networks en matière de technologie, de développement et d’organisation joueront un rôle clé dans l’avenir du Japon. Nous croyons que la combinaison de leurs forces avec notre expertise éprouvée de longue date dans la production d’anime générera de fortes synergies. À l’avenir, nous nous efforcerons d’atteindre une croissance durable avec Preferred Networks et de contribuer au développement global de l’industrie de l’anime au Japon. »
Pourquoi Toei Animation mise sur l’IA aujourd’hui ?
Dans un contexte où les studios doivent jongler entre délais serrés, hausse des coûts et pénurie de main-d’œuvre qualifiée, l’IA représente une solution technique et stratégique. L’idée n’est pas de remplacer les animateurs, mais de leur offrir des outils pour se concentrer davantage sur la création artistique.
Par exemple :
- Les layouts (plans de mise en scène) pourront être générés plus rapidement pour un gain de temps immédiat.
- La correction automatisée des animations permettra de lisser les mouvements sans surcharge pour les artistes.
- Les décors seront plus facilement adaptables à différents styles grâce à des modèles entraînés à partir de photos réelles.
Une évolution qui suscite débat dans l’industrie
Cette initiative de Toei Animation s’inscrit dans une tendance plus large. Plusieurs acteurs de l’animation explorent aujourd’hui les synergies entre technologie et création, bien que ce virage numérique ne fasse pas l’unanimité.
Derrière les promesses de rapidité et d’efficacité, certains professionnels redoutent une standardisation visuelle ou une perte d’âme des œuvres. Car ce sont bien souvent les imperfections humaines, les traits irréguliers et les choix artistiques audacieux, qui donnent à chaque anime son cachet unique. C’est d’ailleurs pour son côté aseptisé, ses palettes de couleurs flashy et flat, et pour ses traits trop vectoriels que j’avais détesté les premières saisons dégueulasses de l’animé Dragon Ball Super. (Et pourtant, ce n’était pas de l’IA).
Toei veut rassurer
Mais Toei se veut rassurante : l’IA ne viendra pas effacer le savoir-faire des animateurs. Elle sera plutôt là pour soulager les tâches répétitives, permettant aux artistes de se recentrer sur ce qui fait battre le cœur d’un bon anime : l’émotion, la mise en scène, et la narration. Je le redis : on peut clairement parler de fair-use, ou d’utilisation intelligente de l’IA, et il n’a jamais été question de « faire des animés en IA ». En tout cas pas dans un avenir proche, pour notre plus grand bonheur.

Quel impact pour Dragon Ball et les autres licences ?
Bien que la Toei n’ait pas explicitement nommé Dragon Ball dans ce communiqué, il est probable que les prochaines productions bénéficieront de ces nouveaux outils technologiques.
Cela pourrait signifier :
- Des épisodes produits plus rapidement,
- Une meilleure fluidité des animations,
- Des visuels encore plus détaillés.
Dans un monde où la demande pour les animes ne cesse de croître à l’international, cette approche pourrait renforcer la compétitivité du studio sur la scène mondiale. Et fatalement, comme dans toute révolution industrielle depuis la nuit des temps, des métiers seront naturellement amenés à disparaître, à apparaître, ou à évoluer ; et l’histoire nous a toujours montré que ceux qui ont raté le train par le passé l’ont souvent payé cher.

Ceux qui ont raté le train l’ont payé cher
Ce paragraphe est presque un hors sujet, mais il est important de bien comprendre pourquoi c’est une grave erreur de fermer les yeux devant le train de l’IA qui arrive à toutes allure. L’histoire nous a souvent prouvé que ceux qui ont ignoré les grandes évolutions technologiques l’ont payé au prix fort. On va juste citer quelques cas d’école les plus célèbres :
- Blockbuster vs Netflix : Blockbuster (le géant mondial de la location de film), n’a pas cru au potentiel du streaming.
- Résultat : Netflix devient un leader mondial du divertissement, et Blockbuster fait faillite en 2010.
- Kodak et l’appareil photo numérique : Kodak a littéralement inventé l’appareil photo numérique… mais a refusé de le développer par peur de tuer son activité principale basée sur la pellicule.
- Résultat : Ses concurrents (Canon, Sony…) prennent le marché, et Kodak dépose le bilan en 2012.
- Nokia et les smartphones : Nokia était leader incontesté des téléphones mobiles, mais la marque a sous-estimé l’impact de l’iPhone et d’Android.
- Résultat : Nokia perd sa domination et vend sa division mobile à Microsoft en 2014.
L’IA ? Je la vois de la même façon. Dans chaque révolution technologique, il y a ceux qui savent évoluer et s’adapter à temps, et les réfractaires qui regarderont le train passer, en continuant à s’éclairer à la bougie. Ceux-là, tôt ou tard, se feront dépasser, puis oublier. L’histoire ne fait pas de cadeau.
Une chose est sure : Toei Animation a clairement compris qu’il y a un enjeu fort à tester l’IA, tout en rassurant les fans sur l’usage intelligent (intelligent) qui pourrait en être fait. Et vous, qu’en pensez-vous ?
EDITO : En tant qu’auteur de l’article, je vais clarifier mon point de vue très simplement afin d’éviter que les terroristes de la pensée ne déforment mes propos sur les réseaux sociaux. Ma vision est très limpide :
- – Oui, je suis totalement pour que les studios continuent de tester les IA, et d’étudier leurs intérêts pour l’industrie, quitte à ce que les métiers évoluent.
- – Non, je suis totalement contre la production intégrale d’un animé en IA.
Si vous avez des questions, je vous propose de me les poser en commentaires.